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Tout à l’heure, Jennie-Lala va débouler, balancer son cartable par-dessus la table de la cuisine, demander si le thé à la menthe est prêt, et puis se bâfrer de mes douceurs en miel. Elle n’aura pas beaucoup de temps bien sûr : ses deux frères, Bob et Nigel, l’attendront dans leur voiture-tank en bas, les planches dans le coffre, impatients d’aller surfer.
Ils seront déjà allés la chercher au lycée. Ils auront même concédé à repasser à la maison pour que la « zouina » prenne son maillot pour glisser avec eux sur les flots. Mais, vite, le soleil se couche bientôt, et pas question de rater le sunset du soir !
Ils sont comme ça les jumeaux depuis tout petit : nés au creux de la vague, avec une « longue-board » -comme ils disent- sous le pied. Je me demande même parfois s’ils ne tueraient pas père et mère pour chevaucher leur océan !
Surfer, c’est bien un plaisir de riches. Moi, leur vieille servante, leur nourrice, je ne sais même pas nager. Mais je préfère les voir obsédés par leur mer que par d’autres plaisirs interdits. Au moins, ça les empêche de dériver ou de partir, comme j’en ai vu d’autres dans la famille…
On n’est pas de la même religion, mais pour moi, kacher ou halal, vieux frère, ça revient un peu au même. Mais, là-dessus, il faut mieux que je me taise. C’est ce que je pense mais nul n’est censé le savoir, et surtout nul ne doit même savoir que je pense !
Je suis avant tout des bras puissants pleins d’amour, habiles à la cuisine et aux travaux ménagers et une oreille attentive et gardienne des secrets de la famille. J’ai même vu leur père Simon grandir, c’est vous dire !
Jennie-Lala, la cadette, est différente de ses frères. Elle a toujours été si calme, si douce et si tenace. Peut-être parce qu’elle a déjà elle cette vie marine, ce va et vient incessant de la vie en elle… C’est une femme désormais. Elle vient tout juste d’être réglée.
Heureusement que ses deux frères sont là pour la protéger des hommes rapaces, elle si rare, si précieuse ici, avec sa peau blanche et ses grands yeux bleus. On dirait une étrangère. C’est faux bien sûr, leur famille est aussi vieille que la mienne : ils sont de Fès pas loin de mes hautes montagnes de l’Atlas.
Pour l’heure, Jennie sait autant que moi que le temps presse et que la passion de ses frères ne l’attendra pas longtemps en bas. Alors, elle se précipite dans sa chambre pour prendre sa combinaison et ses palmes. Moi aussi, j’en profite pour préparer une thermos et un panier de gâteaux pour la route. Jennie l’attrape au vol, me claque une bise et court vers ses frères et leur promesse de plage et d’infini.
Ca sera pour demain ou un autre jour les rires que nous partagerons toutes les deux, tandis que je prépare le repas du soir et que Jennie me raconte tout de sa journée au lycée : les jeux cachés pendant le cours d’arabe où tout le monde s’ennuie, les parties de fumeries dans les toilettes du fond de la cour et peut-être aussi ses questions sur ce nouveau qui vient d’arriver : Charly…